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Harcèlement moral

Il peut y avoir harcèlement moral en dehors d’une relation de travail explicite

La chambre criminelle admet qu’une présidente d’association ait pu être coupable de harcèlement moral vis-à-vis du commandant de la compagnie de gendarmerie où l’intéressée avait son bureau. Une situation apparemment hors-norme, mais que l’on peut transposer à l’entreprise, notamment dans le cadre de prestations de service ou de contrats de mission.

La présidente d’une association d’aide aux familles de gendarmes disposait d’un bureau au sein de la compagnie de gendarmerie où travaillait son mari.

L’intéressée était entrée en conflit avec le commandant de la compagnie et, avec le concours de son mari, n’avait ensuite eu de cesse de se plaindre de lui, adressant de nombreux courriers aux supérieurs de l’intéressé et le dénigrant auprès de ses subordonnés.

Confronté pendant deux ans à des récriminations incessantes, tenu de se justifier auprès de ses supérieurs, le commandant de la compagnie avait dû faire l’objet d’un suivi pour un état anxiodépressif. Il avait finalement été muté dans le cadre d’une « promotion » qui lui avait en réalité été imposée pour mettre fin au conflit.

L’officier de gendarmerie avait ensuite déposé plainte auprès du procureur de la République pour harcèlement moral.

Dans un arrêt du 7 mai 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation valide l’arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d’appel, qui avait condamné la présidente de l’association pour harcèlement moral : par ses propos et son comportement, l’intéressé avait provoqué une dégradation des conditions de travail du commandant de la compagnie, laquelle avait porté atteinte à ses droits et à sa dignité, altéré sa santé physique ou mentale et compromis son avenir professionnel (c. pén. art. 222-33-2).

Au-delà des circonstances particulières de l’affaire, l’aspect qui, de notre point de vue, retient l’attention réside dans la reconnaissance d’une situation de harcèlement entre deux personnes qui, en apparence, n’étaient pas dans une relation de travail.

En effet, par le passé, la chambre criminelle a par exemple refusé de se placer sur le terrain du harcèlement moral pour régler un conflit entre un médecin et un psychologue qui partageaient les mêmes locaux professionnels, en raison, justement, de l’absence de relation de travail entre les deux professionnels de santé (cass. crim. 13 décembre 2016, n° 16-81253 FSPB).

Cependant, l’affaire du gendarme et de la présidente d’association était plus complexe. Cette dernière ne faisait pas qu’occuper un bureau mis à sa disposition pour les besoins de son activité associative. Elle bénéficiait d’une reconnaissance et d’une légitimité au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale et auprès des ministères de tutelle. En outre, elle exécutait ses missions au sein de la gendarmerie au service exclusif des personnels de gendarmerie dont elle recevait des subventions. Enfin, elle était également membre du comité des fêtes de la compagnie, placé sous l’autorité du commandant de compagnie. Dans ces conditions, pour les juges, la présidente de l’association pouvait être considérée comme un prestataire de service présent de manière habituelle sur le lieu de travail.

Par ailleurs, il existait des relations institutionnelles entre, d’une part, l’association dont la prévenue était présidente et, d’autre part, les personnels de la compagnie de gendarmerie et les supérieurs hiérarchiques de la victime. En outre, ces supérieurs étaient nécessairement réceptifs à tous les messages et à toutes les demandes adressés par la présidente. Dans ces conditions, les agissements de harcèlement « s’inscrivaient » dans une relation de travail.

À notre sens, le raisonnement adopté ici par la Cour de cassation ne s’arrête pas aux portes de la caserne. On peut en effet imaginer des situations comparables en entreprise, avec des actes de harcèlement commis par un prestataire de services ou un consultant.

Devant la chambre sociale de la Cour de cassation, ce type de situation a généralement été abordé sous l’angle de la responsabilité de l’employeur : les salariés victimes d’actes de harcèlement commis par une tierce personne qui exercent une autorité sur eux, par exemple un prestataire, peuvent agir contre l’employeur devant les prud’hommes (cass. soc. 1er mars 2011, n° 09-69616, BC V n° 53).

L’arrêt de la chambre criminelle nous montre que, sous certaines conditions, les salariés ont également la possibilité de poursuivre au pénal l’auteur du harcèlement lui-même.

Cass. crim. 7 mai 2019, n° 18-83510 D

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